L'impuissance, c'est moche...
Et mon titre est d'une pertinence et d'une subtilité hallucinante... 20 ans, pour beaucoup, c'est le plus bel âge : on est jeune, on est beau, on en veut... Pour une de mes amies, appelons-là A, 20 ans, ça craint... Je sais pas trop par où commencer, je ne sais même pas si écrire va aider, d'autant plus que je me dis que finalement le faire sur mon blog n'est peut-être pas une bonne idée, c'est même peut-être un peu de l'exhib' mal placée, mais ce soir je me sens vraiment comme un manchot en plein Sahara.
Quand A m'a demandé ce matin si je pouvais l'accompagner chez le médecin, je n'ai pas bien compris (je ne connais pas bien A, je l'aide en cours, c'est tout), mais la vox populi veut que dans ce cas, on ne pose pas de question et on accepte, on ne sait jamais, peut-être qu'un truc grave se passe, et par "truc grave", j'entends souvent : "un alien dans le tiroir" pour une fille de mon âge.
Donc on fait civiquement ce que monsieur ou madame tout le monde fait, on répond "bien sûr" avec un sourire qui se veut rassurant, même si sur ta face de parano-hystérico-anxieuse, ça fait plus une grimace du genre : "putain de merde, dans quoi je vais me fourrer encore?" (rigolez pas les gens, je suis très poissarde). Et voilà, bon gré mal gré, tu sèches la Géo Diff, bah, pas grave, pour ce que t'en comprends, et tu pars à l'aventure dans Paris. A est à côté de toi, te parle vaguement des cours tout en triturant une grande enveloppe, toi tu réponds en t'inquiétant tout aussi vaguement de ses soucis en cours et vous arrivez à destination, une destination que tu as vaguement repérée dans ton plan mental de Paris (oui c'est vague pour l'instant cette histoire, d'ailleurs toi aussi tu te sens vague à ce stade-là).
Puis la salle d'attente, A est partie en consultation et toi tu attends, t'as le temps de psychoter, apparemment ça risque d'être long. En plus tu kiffes ça psychoter, tu es passée pro dans ce domaine depuis longtemps, même si ça fait plusieurs mois que t'as arrêté de te ronger les ongles (oui il fallait que je le case à un moment ou un autre, j'en suis très fière).
Alors c'est parti! On ouvre les paris dans ta tête avec tes autres toi, l'ambiance est survoltée !
A TOUS LES COUPS, A est en cloque et tu vas devoir l'accompagner dans le processus d'avortement et la soutenir, tu sauras pas quoi faire parce que t'es une pauvre tanche en matière de soutien moral et que ta tendance à te faire des films dans la tête va te faire faire un transfert immonde et tu vas revenir à quelques années en arrière à un problème qui t'a concernée et t'a suffisamment fait paniquer, donc NIET, c'est juste pas possible, A n'est définitivement pas enceinte.
Donc tu passes à autre chose : MST ? Herpès, Syphillis, Hépatite accompagnée d'une charmante lettre, ou le terrible VIH, tu te récites le catalogue "prévention" qu'on te distribue au collège et tu aboutis à la conclusion, "c'est pas possible, on est au XXIè siècle, tout le monde se protège, surtout les jeunes parce que le monde c'est beau et magnifique et les gens sont tous roses bonbons dans leur coeur et dans leurs moeurs". Haha ! T'es carrément trop fière de ta façon de gérer scientifiquement les maladies les plus graves de la planète.
En même temps ton toi t'engueule un peu "espèce d'obsédée, que des problèmes issus du sexe" ! OH PUTAIN, nan surtout pas un cancer ! Ton pote de lycée s'en est déjà chopé un l'an dernier, ça suffit ! Tu boucles ce paragraphe inutile par un gros ETC... Le lecteur aura compris l'ambiance, de toute façon si tu continues tu vas laisser le lecteur entrer dans ta sphère privée et avoir des "ooooh ma pauvre" larmoyants, hypocrites et inutiles (et horripilants qui plus est).
Et A sort, les yeux rougis, elle est vraiment jolie (ta tête te dit "c'est pas le moment, modère-toi"), et...
Et ensuite quoi ? Les larmes sur le chemin du retour, le banc du parc et ton épaule maladroite, la sensation du "qu'est ce que je fous là/est-ce-que je l'aide vraiment comme il faut/mais qu'est ce qu'il se passe?", les mots qui ne veulent pas sortir et qui finissent par exploser.
A est atteinte du SIDA.
A doit se prostituer pour poursuivre ses études.
Haha !
C'est de la fiction, ça arrive que dans les films qui se veulent "réalistes" ça, pas à des gens que tu connais !
...
Ah, non...
On se dit souvent que dans des coups durs comme ça, il est plus facile de se confier à un inconnu, j'essaie de me dire que c'est pour ça qu'A est venue me voir étant donné que nos discussions tournaient souvent autour du thème "t'as pigé ce passage-là du cours ?".
En même temps en y repensant, je n'ai pas vu A parler à beaucoup de gens à la fac.
Je ne sais pas où me placer, ni quel va être mon rôle à jouer dans les jours à venir, si tant est que je doive continuer à jouer un rôle. Je crois que je vais essayer d'être juste là, c'est tout.
A avait l'air de se sentir honteuse, je la trouve pourtant très courageuse.
Je ne veux pas essayer de parler en son nom, le texte peut paraître profondément égocentrique vu qu'il se base essentiellement sur mon ressenti, en même temps, je ne peux vraiment pas tenter de me "mettre à sa place" et tomber dans un pathos hypocrite. Ce sont ses pires heures et la faire parler via moi serait, à mon sens, irrespectueux.
Du coup, je préfère parler de mon ressenti en tant que "personne à qui l'on s'est confiée". Et même si la douleur est plus intense chez A, être confrontée comme ça d'un coup à ce qu'on appelle, de façon agaçante mais juste, les "aléas de la vie" et de se retrouver à devoir partager ceci, c'est pas évident.
La prostitution, j'y suis confrontée tous les jours en bas de ma rue et par Lydia, une prostituée que, jusqu'à il y a quelques mois, je voyais régulièrement et qui était l'une de mes rares "voisines" avec qui je parlais. Mais Lydia avait 40 ans passés et assumait plus ou moins son boulot. A, elle, a 20 ans. 20 putains d'années, comme moi, du coup ça me choque doublement. Et en ce moment-même je maudis tous les clients qui entretiennent ce marché.
Le VIH, ça m'effraie, j'imagine que A aussi, et même si la science fait des progrès dans le domaine, on sait pertinemment que ce n'est vraiment pas une nouvelle facile à prendre.
Je ne veux pas la rejeter, je ne veux pas l'étouffer. Pas la forcer à parler mais être là pour l'écouter. Ne pas l'aider de manière contraignante mais essayer de trouver de maigres solutions. Ne pas être indifférente à ces problèmes mais ne pas les laisser me ronger...
J'ai des épaules fragiles, une tendance à abandonner trop facilement, et je sais que je ne veux pas me le permettre. En même temps je ne veux pas non plus que ça me bouffe complètement, déjà pour motif purement égoïste de vouloir me préserver et puis aussi parce que dans le fond, ce n'est pas moi qui vit le drame en question.
20 putains d'années...